« En arrivant au Mans la veille du départ, je passe en revue tous les paramètres qui vont influencer ma course : ma préparation, l’alimentation, le matériel, le repos, mon équipe d’assistance, le froid le vent et les averses… Et de nombreux autres petits « détails » qui sont les secrets de l’athlète et du fibro que je suis. Décidément, j’ai beau faire l’inventaire, je suis persuadé que j’ai réellement fait le tour, et que je suis correctement préparé à tout ce qui pourrait se produire.
Quelques heures plus tard, précisément au moment de partir m’échauffer pour les qualifications, j’ai compris, comme tous les autres solos, d’ailleurs, que je ne pouvais pas être préparé à CA !
Ce qui s’annonçait devant nous en ce 28 juin, c’était tout simplement l’édition la plus dure des 24h du Mans depuis la création de l’épreuve : des conditions météo qui ne nous laisseraient absolument aucun répit, de jour comme de nuit, alternant de brèves éclaircies, un crachin sarthois dont j’ignorais l’existence, des trombes d’eau et même des orages de grêle !
Pas une bonne nouvelle, mais pas non plus un prétexte suffisant pour baisser les bras : je suis venu pour courir, et j’ai la ferme intention d’aller au bout de cette course, si compliquée soit-elle !
16h, le départ est donné. Et comme prévu, je m’élance prudemment. D’autant plus prudemment, d’ailleurs que non seulement les conditions d’adhérence sont plus que précaires, mais en plus les 100% d’humidité ambiante (qui ne nous quitteront pas de toute la course) font que dame fibro, dès le départ se rappelle durement au bon souvenir de mes genoux et de mes chevilles. Ne pas se laisser déborder : c’est douloureux, oui, mais ce n’est qu’une « information« . J’en prends bonne note, et je la range soigneusement dans un coin de mon esprit, bien décidé à ne plus y penser. Cette info, dans son tiroir est rapidement rejointe par d’autres, pas forcément plus réjouissantes : je suis trempé, et la buée envahit les verres de mes lunettes à chaque montée ; je perds un bidon dès le premier ravitaillement, et vais donc devoir faire la course en alternant entre les 2 qui me restent ; et au bout d’à peine 2h de course, le goût des pâtes de fruit ne passe déjà plus… Mais je suis préparé à tout ça : j’ai des solutions de rechange, et toutes ces informations, sitôt prises en compte, sont rangées dans un grand coffre que je ne compte pas ouvrir avant l’arrivée.
Heureusement qu’il est grand, ce coffre, parce qu’à 4h de course (ouf ! plus que 20h à tirer !), je commence à sentir une brûlure bien désagréable sur le dessus des pieds. Aucune idée de ce que ce peut être jusqu’à ma première pause au bout de 6h. Je défais mes lacets pour m’apercevoir que le dessus de mes pieds saigne à cause du frottement d’une étrange poudre noire qui se glisse sous les languettes de mes chaussures. Je comprendrai bien plus tard : la pluie fait remonter la poussière de frein des voitures qui courraient ici même 15 jours avant… C’est très abrasif la poussière de frein ! Et vraisemblablement, je suis le seul solo à courir sans chaussette. Il va falloir faire avec ! Un morceau de sparadrap sur les plaies, et c’est reparti pour un second segment de 6h ! Là, j’ai vraiment fait un effort pour ranger cette nouvelle information « pieds en vrac » dans le coffre… Et surtout bien le refermer !
Ces 6h seront l’occasion d’une intense réflexion : et si la fibro, sur une telle épreuve était… Une force supplémentaire ? Paradoxal ? Je ne crois pas ! Quand vous vous apprêtez à courir 24h en solo, que ce soit à roller, en vélo, à pied, vous savez que vous allez souffrir. Moi, fibro, j’ai certainement commencé à souffrir bien avant mes camarades (au départ, déjà !). Mais j’ai commencé la course probablement bien plus habitué à gérer la douleur, à essayer d’en faire abstraction que bon nombre des autres concurrents. Bien entendu, il est certainement bien plus « facile » de courir en étant entièrement valide. Mais je crois en définitive que sur ce type d’épreuve, la différence physique entre un fibro déterminé et une personne qui n’est pas malade se nivèle sensiblement. D’ailleurs, une telle course n’est pas finalement avant tout une épreuve physique : c’est principalement un défi psychologique. Et à ce jeu, ce sont ceux qui parviennent le mieux à gérer fatigue et douleur, à écouter leur corps sans pour autant lui laisser prendre le pouvoir qui tirent leur épingle du jeu.
12h de course. Il est 4h du matin, et il est temps de prendre une bonne nuit de sommeil : à la manière des navigateurs en solitaire, sieste flash de 20 minutes. Un peu de nourriture, et le troisième relais commence ! Le plus difficile, assurément : de 4h à 10h, le seul moment d’éclaircie serait le lever de soleil, mais compte tenu des la météo du jour, nous ne pourrons pas profiter de l’astre du jour cette année. Pire, même, au moment où le jour se lève, une très violente averse vient inonder à nouveau nos corps déjà trempés, perclus de courbatures et demandant déjà la fin de la course. Mais à ce moment, il reste encore près de 10h de course.
C’est là qu’il faut puiser dans ses ressources les plus intimes pour continuer, ne pas baisser les bras : il ne suffit plus de me dire que je me suis préparé des mois durant, que beaucoup de gens me regardent et comptent su moi. Non, tout cela est devenu secondaire devant la fatigue et la douleur. Il faut trouver autre chose. Et je pense que chaque solo possède son propre jardin secret, le petit monde qui n’appartient qu’à lui où il va puiser la force de continuer dans ces moments-là. Ces trésors si précieux ne se partagent pas… Toujours est-il que les miens ont semble-t-il porté leurs fruits puisque j’ai surmonté ce passage particulièrement difficile, et me suis même offert le luxe dans ce créneau horaire de m’accrocher au milieu des leaders de la course : Claude et Thibaut notamment. De très valeureux adversaires, mais aussi, et même pendant la course, des êtres très humains, prompts à partager, échanger, encourager, féliciter. Vraiment, l’ambiance entre solos est quelque chose d’unique !
Vers 9h, une chose inattendue se produit (en fait, je savais qu’elle devait se produire, mais ma lucidité avait dû un peu faire défaut !) : en finissant un tour, j’entends le speaker parler de moi (je suis 7ème solo). Mais surtout, parler de fibromyalgie, décrire la maladie, évoquer l’association FibromyalgieSOS, envisager la souffrance des malades, insister sur l’importance de la reconnaissance de la maladie par le public et les autorités ! Imaginez-vous le baume au cœur que ces 5 minutes d’annonce au micro m’ont procurées ? Mieux encore, le speaker va insister… Pratiquement chaque heure, jusqu’au final, il consacrera quelques minutes à la fibro. Quelle fierté ! Après la distribution de flyers sur le site, après les informations diffusées mois après mois sur Facebook et dans la lettre d’information, voici le clou de l’opération : 25000 personnes entendent en direct parler de fibromyalgie au cours d’un évènement sportif de première ampleur !
Les dernières heures de course, je ne suis plus qu’un robot : patiner, m’alimenter, rester vigilant… Et surtout, enfouir tout ce qui me reste de conscience dans mon monde intérieur pour ne pas penser aux jambes en bois, à chaque muscle qui demande pitié, à la fatigue qui me gagne. Un robot, donc, mais un robot heureux : je sais désormais que je vais aller au bout, je sais que l’aventure sera un succès… Je me redonne même un objectif « compétitif » : avant de partir, je m’étais dit que j’aimerais faire 100 tours du circuit en 24h. Sur le sec. Mais voilà, en ce 29 juin, sur une piste trempée, les 100 tours semblent accessibles malgré tout ! J’irai jusque-là… Me suis-je trop attaché à cet objectif de 100 tours, où étais-je arrivé vraiment à la limite de mess ressources ? Jamais je ne suis parvenu à gravir la montée du 101ème tour. Peu importe ! Réussite totale : Je suis allé au terme de la course ; j’ai dompté le circuit Bugatti dans des conditions épouvantables, et je me suis frotté aux meilleurs du monde dans cette discipline exigeante. Voilà pour le volet sportif ! Et sur le plan fibro : on a énormément parlé du sujet, cet objectif est également pleinement atteint.
Donc oui !!! On peut être fibro et faire du sport ! On peut même être fibro et aller au bout d’un défi qui parait déjà colossal à des personnes en pleine santé. C’est ceci finalement, le message que je tiens à faire passer à tous les malades atteints de fibromyalgie. A toutes les personnes, d’ailleurs qui souffrent d’une maladie ou d’un handicap qui affectent leurs capacités : avec de la volonté, en n’acceptant pas de baisser les bras, en ne laissant pas la maladie ou le handicap prendre le dessus, nous pouvons tous faire de grandes choses. Mon défi à moi était certainement extrême, mais sans aller aussi loin : bien sûr que la fibromyalgie va affecter et changer votre vie ! Mais pour autant, ne vous coupez pas de ce que vous aimez et de ceux que vous aimez. Vous pouvez continuer à vivre, à prendre du plaisir à ce que vous faites, à découvrir de nouvelles personnes, de nouveaux lieux, de nouvelles activités. Vous pouvez pour suivre ce qui enrichissait votre vie d’avant ! C’est une question de volonté, et de raison : bien entendu, il faudra certainement « adapter », mais ce n’est en aucun cas une raison pour vous priver ou abandonner : VIVEZ ! Ne laissez pas la fibro vous prendre que qui donne du goût à votre quotidien !
Je ne peux pas terminer ce récit sans remercier toutes les personnes qui ont rendu mon défi possible : mes partenaires Sierra, Sila et Pulsacare, les personnes qui m’ont soutenues dans le montage du projet, mon coach sur cet évènement, Pascal et toute sa famille qui ont veillé sur moi 24h durant, les patineurs qui s’entrainent avec moi toute l’année, mes enfants et mes parents, qui vivent au quotidien avec « ma » fibro et ma lubie du roller… Et surtout les quelques Amis qui, sans même le savoir, ont peuplé pendant ces 24h mon petit monde secret : c’est vous qui m’avez mené au bout, vous êtes ce que j’ai de plus précieux !
Et une mention spéciale pour Sabrina : sans ton exemple, et sans ta ténacité en solo au Mans, jamais je n’aurais osé m’aligner au départ de cette épreuve folle ! Tu m’as donné quelques belles leçons… Et je les ai retenues 🙂
Merci enfin à FibromyalgieSOS, et notamment Nadine, Ghyslaine, Marie-Jo et Sandy : vous avez cru en mon improbable projet dès le premier jour. Et sans cette confiance, jamais il ne se serait concrétisé ! »
Dernière mise à jour de la page le 29 décembre 2021